01/05/2000
La tempête de décembre a conduit notre compagnie de bûcheronage à Carcans, en Gironde. Avec 25 personnes, nous avons jusqu'à présent coupé environ 40 000 stères de pin maritime et il nous reste quelque 10 00 stères à exploiter dans notre contrat avec un client français, qui est une entreprise forestière très importante. Nous sommes venus de Finlande, qui est un des pays le plus couvert de forêts au monde et où le commerce du bois est une des activités majeures au même titre que Nokia. Nous sommes spécialisés dans le bûcheronage tant au niveau international que national, nous utilisons aussi des machines de débardage.
Lorsque nous sommes arrivés mi-février, notre principale espérance était de ne pas arriver trop tard. Nous pensions que nos concurrents "occuperaient" déjà tous les clients les plus importants. Ce fut une grande surprise, et en reste toujours une, lorsque nous nous sommes rendus compte qu'il y avait si peu d'étrangers pour aider à l'exploitation des bois arrachés. La capacité locale que ce soit en main d'œuvre ou en machines est dix fois trop faible comparée à l'amoncellement de bois à terre menacé à court terme par le bleuissement, les moisissures et les parasites de toutes formes.
D'un point de vue d'entrepreneur, ce sont les honoraires locaux trop faibles qui ont empêché les entreprises étrangères de venir plus nombreuses en France. En tant qu'étrangers, nous devons faire face à beaucoup de frais supplémentaires comme le trajet en avion de toute notre équipe, les logements, louer ou acheter un certain nombre de véhicules pour les transports,… C'est pourquoi, presque tous les spécialistes forestiers qui ont l'opportunité de travailler dans leur propre pays, privilégient cette solution, à salaires égaux. Un entrepreneur doit payer plus que les salaires habituels et couvrir les frais de ces employés pour réussir à leur donner envie de travailler à l'étranger, ne serait-ce que pour quelques mois. En outre, il y a toujours des risques insoupçonnés dans les relations commerciales avec l'étranger, quand vous ne rencontrez pas vos clients avant de leur avoir serré la main et que vous ne connaissez ni les circonstances, ni les habitudes locales. Tout cela crée une somme remarquable de frais supplémentaires comparé à une exploitation ordinaire sur son propre territoire. Pourtant, les étrangers issus de pays aux coûts plus élevés ne pouvaient pas faire face au niveau des prix de la France avant la tempête.
Au début, nous avions décidé de nous concentrer uniquement sur l'exploitation des bois par nos bûcherons, les prix proposés pour le débardage n'étaient pas attractifs par rapport aux coûts supportés. Pourquoi les entreprises locales de débardage n'achètent-elles pas des machines supplémentaires à l'étranger, quand la demande pour des services de débardage est à son plus haut niveau ? La capacité actuel de débardage est ici limitée à un point tel qu'il y aura du travail à plein temps pendant plusieurs années. En faisant fonctionner une nouvelle machine de débardage pendant 20 à 24 heures par jour, pendant 6 jours de la semaine, et en utilisant 2 ou 3 conducteurs, un entrepreneur local peut espérer un retour sur investissement en moins de 12 mois. Si le travail disponible, après le débardage des chablis, est trop bas, comme on l'entend souvent, il a toujours la possiblité de revendre sa machine pour un bon prix à l'étranger - en Finlande par exemple.
Le parc local de véhicules de débardages semble être à un niveau d'utilisation faible. Nous n'avons pas encore vu une seule machine travailler plus que les horaires prévus habituellement. Autre chose qui affecte beaucoup l'efficacité est le grand âge du parc de véhicules de débardage. Les machines de 10 ans et plus ont besoin de réparation et d'entretien, or cela représente pour plus de la moitié des véhicules qui travaillent 8 heures par jour.
Il est tout à fait compréhensible que les propriétaires de forêts touchées ou leurs agents soient opposés à l'exploitation des chablis avant que la vente de ces bois ne soit conclue. Il est difficile de savoir à quel point, on peut compter sur la capacité des élus à monter des soutiens financiers ou autres et de savoir si le risque de débarder les bois avant de les avoir vendus est réellement important ou non. Néanmoins, une grande quantité de bois est à terre et une exploitation accrue est à souhaiter maintenant ou dans un futur proche. Concrètement, attendre que quelqu'un fasse le travail à sa place risque d'être la plus grosse menace dans ce cas.
La notion de sécurité ne fait pas partie des éléments dont nous parlons le moins lorsque cela concerne l'exploitation du bois de chablis enchevêtré. Beaucoup de chablis sont toujours instables d'une manière ou d'une autre après la tempête et l'on voit énormément d'arbres à moitié au sol. Tout cela crée un environnement de travail très dangereux pour le personnel d'exploitation. Pour preuve, l'un de nos bûcherons a été rapatrié avec une jambe cassée. Cette notion de sécurité peut être améliorée notamment par l'utilisation de casques, visières, gants, pantalons et bottes de sécurité par tous les bûcherons. Des instructions et un entraînement sur une base régulière permettraient d'éviter de nombreux blessés. Le travail le plus dangereux pour un bûcheron, assister un débardeur lors du dégagement de la bille de pied, "devrait être interdit par une loi" à la suite de ce type de désastre forestier.
Le point de vue environnemental n'est pas le moindre de nos soucis. En France, nous avons vu très peu d'activités des mouvements "écologistes". Il est étonnant que personne ne ce soit encore enchaîné à une machine de débardage, qui répand une trace d'un mètre de profondeur blessant une forêt déjà sensible. La fin-mars et le début-avril ont déversé des pluies très fortes sur l'Aquitaine qui ont rendu les forêts vulnérables face aux dommages à long terme de la nature. Dans notre propre pays et dans le reste de l'Union Européenne, l'utilisation de machines dans de telles circonstances devrait être interdite dès le commencement - jusqu'à ce que la terre soit sèche et capable de supporter les véhicules à nouveau.
Il est déjà clair qu'une partie du bois tombé sera irrémédiablement endommagé avant que la capacité de débardage n'ait pu être améliorée. D'autre part, les risques de feu sont de plus en plus grand lorsque la nature s'assèche à la fin du printemps et au cours de l'été. Il est possible de gagner de l'argent en vendant les bois même si l'ont doit supporter des coûts d'exploitation. Qu'arrive-t-il lorsque le reste du bois est impossible à vendre car il devient bleu et qu'il est attaqué par des champignons et des parasites ? Qui vont être les personnes, et avec quels moyens, vont-elles renouveller et replanter les zones détruites ? Comment replanter une forêt qui est pleine de bois dégradés et enchevêtrés ? Où les propriétaires de parcelles boisés vont-ils trouver les investissements nécessaires lorsqu'ils n'auront plus de revenus à partir de la vente de bois ? Il reste beaucoup de questions à poser pour chacun d'entre nous.
Finallement, les expériences que nous avons vécu en France ont été uniques, dans le sens positif du terme. Beaucoup de nos bûcherons ont déclaré qu'en France ils s'étaient sentis pour la première fois comme membre, à part entière, de l'Union Européenne - la gigantesque catastrophe naturelle les a rapprochés de la population locale. Chacun d'entre nous a ressenti une réelle tristesse pour ce qui est advenu de la forêt et ce qu'il risque d'advenir des personnes engagées dans ce secteur.
Vous, français, nous avez très bien accueillis. Notre client est satisfait et a complètement rempli ses engagements, précisément et comme convenu. Tout notre projet de bûcheronnage s'est passé sans problèmes majeurs. Nos loisirs : vous pouvez les imaginer - pour nous "buveurs de lait", les grands vins du bordelais… accompagnés de poissons, escargots, fromages - Ahh !
L'auteur de cet article est l'entrepreneur des services de la forêt finlandaise, Mr Lauri Forsström du Detroit Group Limited lauri.forsstrom@pp.inet.fi - un de nos premiers contacts finlandais sur Mediaforest pour venir participer au nettoyage des parcelles touchées par la tempête.
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